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Au Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, Catherine Hiegel fait de « la servante aimante » une redoutable machine de guerre

La Serva amorosa ou La Servante aimante ? Le titre ne claque pas en français. Il s’affiche donc en italien au fronton du Théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris, où Catherine Hiegel met en scène avec fermeté et clairvoyance la pièce de l’auteur vénitien Carlo Goldoni (1707-1793). Dans ce spectacle où les rires ne dévaluent pas la portée politique du propos, Coraline n’a rien d’une « servante aimante ». D’ailleurs, Isabelle Carré, qui interprète le rôle-titre, est moins une soubrette habile qu’une redoutable machine de guerre dont le projet est énoncé dès ses premières répliques : « Le plus beau pied de nez que vous puissiez faire à vos ennemis, c’est de souffrir avec constance, de rire avec indifférence et de leur montrer que vous savez et que vous pouvez vous passer d’eux », affirme en préambule programmatique, celle qui, trois actes plus tard, conclura seule face au public : « Vive notre sexe. Et que crève sur l’heure qui ose en dire du mal. »
Entre ces deux tirades offensives se tient une comédie passionnante qui, sous le couvert de raconter un imbroglio familial sur fond d’héritage spolié, anticipe l’heure des grandes révolutions. En 1762, dix ans après avoir créé sa pièce, Goldoni s’installe en France. 1789 approche. Le pressentait-il ? Sur le plateau, l’ancrage historique n’est pas escamoté, mais il reste discret. Couleurs pâlies des façades, intérieurs défraîchis des maisons, la scénographie est un vestige assumé du XVIIIe siècle. L’espace n’est pas naturaliste mais mental. L’action qui se trame n’existe que dans la tête de Coraline. Une femme qui aurait pu faire la révolution mais se contente de remettre de l’ordre dans le chaos. Chaque chose en son temps, semble indiquer la représentation de Catherine Hiegel.
Que se passe-t-il ? Le jeune Florindo a été chassé de chez lui par sa belle-mère Béatrice (Hélène Babu), seconde épouse de son père, Ottavio, un riche négociant de Vérone. La marâtre convoite pour elle et son propre fils, Lélio, l’héritage de la maison. Il faut aimer l’argent, se dit-on, pour supporter la vie avec un vieillard sénile qu’incarne, avec force bafouillements (subis ou choisis ?), le comédien Jackie Berroyer. Drapée dans ses robes corsetées, ses pieds glissant sur le plancher avec une habileté de serpent, Hélène Babu a de ces regards noirs qui foudroient sur place l’adversaire. A son crédit, un sens tactique diabolique face auquel les hommes ne font pas le poids. Même détestable, elle en impose. Seule une femme parvient à la mettre en échec. C’est Coraline, servante, suivante, domestique, soubrette, bref, subalterne ici érigée au rang d’alter ego des puissants.
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